Lettre de Raveau du 26 décembre 1870


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Raveau, le 25 décembre 1870

Chère amie,
Si je t’écris ces quelques lignes, c’est que le temps me dure de ne pas recevoir de tes nouvelles ; car voilà la troisième lettre que je t’écris et je n’ai reçu encore aucune réponse.
Je pense que tu m’auras répondu, mais on n’est presque jamais restés deux jours au même endroit et cela fait que les lettres n’arrivent pas aussitôt.
C’est aujourd’hui la fête de Noël, quand je pense aux années dernières, que l’on passait des jours si heureux et se voir si mal maintenant… je me demande cependant en pensant que ces beaux jours reviendront peut-être ; et que je pourrai aller passer quelques instants auprès de toi ; comme demain ce serait vogue à Chuzelles et l’on pourrait aller y passer quelques heures mais de ces heures qui ne durent pas plus qu’une seconde de maintenant.
Voici le jour de l’an qui s’approche : je voudrais bien pouvoir aller te souhaiter la bonne année chez toi et aussi à tes parents, mais puisque cette malheureuse guerre ne le veut pas, on est obligé de s’y résoudre.
Il y a quelque temps je pensais que je serais peut être chez nous pour le 1er jour de l’an mais maintenant je vois bien qu’il faut attendre encore quelque temps ; mais j’espère que ce jour arrivera.
Hier, en entendant sonner les cloches du village où nous sommes, j’ai connu que c’était la veille d’une fête, parce que voilà quelque temps que je ne sais plus quand c’est dimanche que lundi vu que l’on était toujours dans les champs et éloignés des villages et l’on ne pouvait pas sortir.
L’on s’est pourtant décidé à nous mettre coucher dans les granges, quand on a vu qu’il en gelait toujours de temps en temps quelques-uns.
Hier on a envoyé dans chaque escouade deux hommes pour aller à la messe de minuit sac au dos et fusil ; quant à moi je suis resté couché . J’étais dans une écurie derrière des vaches je n’étais pas mal.
Mais vu que l’on ne peut pas nous faire tuer par les balles des Prussiens ni par le mauvais temps, il ne faut pas beaucoup désobéir pour se faire fusiller.
Avant-hier on en a fusillé un de Feyzin ; il était engagé dans la ligne, c’était un jeune homme riche et très instruit. Il n’avait que 20 ans ; son lieutenant l’avait frappé le premier de deux coups de canne, et lui a répondu par deux coups de poing et cela a suffi pour le faire fusiller. Hier on en a fusillé encore deux à la pointe du jour.
Il y en avait un de notre régiment qui avait été aussi condamné à la même peine, il est du Loiret mais dans la nuit il s’est échappé, c’était notre bataillon qui était chargé du peloton d’exécution, c’est-à-dire un caporal et deux hommes de chaque compagnie qui étaient pour lui tirer dessus.
Ce matin, quand je me suis levé, que je me suis vu dans un village, il me semblait que je revenais d’un autre monde tant j’étais content.
C’était bien temps que l’on nous mette dans un village pour nous faire approprier parce que l’on était beaucoup malpropre.
Nous allons partir ce soir à 3 heures nous allons aller du côté de Dijon. Je crois que dans le département du Loiret et du Cher il n’y a pas une route que l’on est pas passé dessus ; ça me fait bien plaisir que nous allions de ces côtés parce que la mobile du Rhône doit y être ; ça me ferait bien plaisir de rencontrer quelques amis.
Je suis toujours en bonne santé. J’espère que la présente te trouve de même aussi bien que ta famille . Reçois, chère amie, les vœux sincères d’un affectionné ami qui t’embrasse de tout son cœur.
Roussillon Claude

ps Rully le 28 décembre 1870

Si je ne t’ai pas envoyé ma lettre tout de suite c’est qu’au moment où j’allais finir ma lettre l’assemblée a sonné et j’ai été obligé d’aller faire mon sac et de filer immédiatement. Le même soir nous avons été à la gare de La Charité. On nous a fait attendre deux heures et après on nous a fait aller recoucher au même endroit que nous étions.
Le lendemain nous sommes repartis de Raveau à huit heures du matin et on nous a fait attendre jusqu’au lendemain à six heures du matin pour nous embarquer. Nous sommes arrivés à Nevers à 8 heures et le train a fait halte jusqu’à la nuit.
A la nuit nous sommes partis de Nevers et nous sommes arrivés à Chagny à six heures du matin. Et on nous a fait venir cantonner à Rully, département de Saône-et-Loire, c’est un joli pays, il y a beaucoup de vignes et particulièrement du bon vin. Ce pays n’est qu’à 3 ou 4 lieues de Chalons, ça m’a fait bien plaisir de venir dans ces pays : ils imitent beaucoup mieux nos pays que ceux dont nous venons ; les gens ont l’air un peu mieux affable, et les pays ne sont pas autant ruinés.
je ne te dis pas adieu mais au revoir.

Sylvie Chatelain Mariaux © 2010 - 2024 Mentions légales